La voix des murs
Le Fifaac (Festival international du film d’architecture et des aventures constructives) qui se déroule aux Terres Neuves, à Bègles, jusqu’au 27 octobre (voir notre précédent article), présentait hier, entre autres, deux films en compétition qui a bien des égards apparaissent totalement antagonistes. Je veux parler de Crimée enchantée, un court-métrage de Sophie Comtet-Kouyaté (France, 2017, 30mn) et de Tant que les murs tiennent de Marc Perroud (France, 2017, 52mn).
Le rêve enchanté d’un habitat idéal
Le premier est un film d’architecte conçu autour du projet de rénovation d’un ancien îlot bâti dans le 19e arrondissement de Paris, rue de Crimée, autour d’une cour pavée. Cette réhabilitation prévoit d’y faire cohabiter des ateliers et des logements sociaux. Le film prend le parti d’un certain onirisme autour du chantier en cours et de performances d’acteurs et de danseurs. Une voix off préfigure la présence à venir des habitants des lieux. Le résultat est agréable à l’œil mais plutôt vide en contenu, hormis le message en sous-texte d’une cohabitation heureuse et partagée bien dans l’air du temps que le titre résume sur l’air du conte de fée. On est donc dans le monde enchanté d’un habitat idéal plus fantasmé que vécu. Des appartements où il faudra vivre, on ne voit d’ailleurs que les fenêtres et les escaliers…
La mémoire de la rue Saint-Maur
De ce point de vue, ce court-métrage adopte une position inverse de celle du magnifique documentaire de Ruth Zylberman, Les Enfants du 209 rue Saint-Maur diffusé au printemps dernier par Arte (France, 2017, 103 min). A partir d’un même parti-pris (un lieu et ses habitants) la réalisatrice racontait la rafle du Vel’d’hiv’ et son lot de dénonciations obligeant les uns et les autres à choisir leur camp ou à affronter leur destin, noué dans les appartements aux parquets grinçants de cet immeuble sur cour du 11e arrondissement de Paris.
Tant que les murs tiennent
Le film de de Marc Perroud (France, 2017, 52mn – Diffuseur : France 3) s’efforce lui aussi de raconter l’histoire d’une communauté humaine à partir des lieux qui l’ont vue exister. Il s’agit ici d’une ruine industrielle bâtie au pied de la citadelle de Besançon, haut-lieu des luttes ouvrières des années 60-70.
Si le montage est un peu foutraque et manque d’informations qui auraient permis aux plus jeunes de mieux s’orienter dans les méandres de l’histoire politique et sociale de la deuxième moitié du XXe siècle en France, l’ensemble est très convaincant et émouvant.
Cinquante ans après la grève et l’occupation de cet immense paquebot de l’industrie textile des Trente Glorieuses vécues sous pavillon Rhodia (le groupe Rhodiaseta, spécialisé dans la fabrication de fils synthétiques genre Tergal) le réalisateur donne la parole aux anciens ouvriers, qui occupèrent l’usine en 1967, participèrent au mouvement de 1968, assistèrent en 1981 au démantèlement de leur lieu de travail et perdirent leur emploi.
Une cathédrale de l’industrie perdue
Marc Perroud tend également son micro aux grapheurs qui ont pris possession de ce que l’un d’eux décrit à juste titre comme une sorte cathédrale industrielle où la nature aurait repris ses droits, parmi les gravas, les débris de machines et les cartes perforées des métiers à tisser qui jonchent encore le sol. Cinquante ans après 1968, on mesure avec tristesse et un certain effroi l’ampleur des dégâts des délocalisations, dont on n’a pas fini de compter les victimes dans ce que certains appellent désormais les « territoires »…
Vu également cet après-midi: Construction de la villa Além de Ana Resende, Miguel Tavares, Manuel Viera et Tiago Costa (Portugal, 2017, 55 mn). Un film aux parti-pris radicaux (pas de commentaire, pas de voix, juste le chant des oiseaux et des ouvriers silencieux et harassés). Histoire de la construction d’une villa, celle de l’architecte suisse Valerio Olgiati et de son épouse, au sud du Portugal. Projet moderniste dont les choix rappellent sous certains aspects ceux de la casa Malaparte à Capri (les ouvertures percées dans les murs comme des meurtrières pour laisser entrer le paysage à l’intérieur des volumes). Les plans fixes font référence au style de Manuel de Oliveiras ou plus récemment à celui de Miguel Gomes (le réalisateur de Tabou, 2012), amenant à penser qu’au Portugal la voix des murs semble suivre la cadence lente du fado.