Fifaac 2018 – 4/4

Le palmarès des films en compétion

Lupus doublement récompensé

Tant que les murs tiennent, Grand Prix du jury pro

Le jury du festival international du film d’architecture de Bègles, présidé cette année par Tania Concko*, a décerné ce soir son Grand Prix 2018 au long métrage de Marc Perroud, Tant que les murs tiennent, dont nous avons déjà longuement parlé (voir l’article). C’est un prix très mérité pour un film polyphonique qui raconte l’histoire du naufrage d’un fleuron de l’industrie textile française d’après-guerre condamné par les délocalisations des années 1980.

Le Grand Prix du jury étudiant composé de sept élèves de l’ENSAP BX va à Lupus, un court-métrage d’animation de Carlos Gomez Salamanca (France/Colombie, 2016) qui reçoit également une mention spéciale du jury professionnel. Ce film a fait l’unanimité par la pertinence de son scénario et la maîtrise des techniques graphiques mises en œuvre. Inspiré d’un fait divers, il raconte la mise à mort d’un vigile attaqué par des chiens de garde sur un chantier d’immeubles à Bogota. Il met en perspective la violence de la meute animale rendue à l’initiale sauvagerie des loups et celle d’un autre esprit de meute, celui d’une classe politique agressive animée par l’esprit de conquête du territoire et l’appât du gain.

 

Les étudiants de l’ENSAP BX ont également gratifié le long-métrage de Fanny Tondre, Quelque chose de grand (France, 2016) d’une mention spéciale pour sa mise en scène de la réalité concrète du travail des ouvriers sur le chantier de construction de la gigantesque usine d’épuration d’Achères par Luc Weizmann.

Les mentions du jury professionnel vont à Innerspace de Shen Wei et Ma Yanson (Chine, 2017). Un poème chorégraphique à la beauté plastique extrêmement maîtrisée dédié au Harbin Opera Hause de MAD architects.

Ce même jury attribue une mention supplémentaire à Moriyama-San de Bêka & Lemoine (France, 2017). A ce sujet, Tania Concko a précisé, au nom de l’ensemble du jury, que ce film déjà multiprimé (notamment à Chicago et à Leipzig) aurait peut-être mérité une présentation hors compétition. Tania Concko a également souligné qu’il n’avait pas été facile de trancher entre des films très différents par leurs formats mais tous ambitieux par leur qualité.

* Le jury international était composé de Tania Concko, présidente, architecte à Amsterdam, Nicole Balavoine (auteur, scénariste), Nelson Correa Drago (architecte uruguayen), Lucas Bacle (architecte, réalisateur), Jean-Paul Chaumeil (auteur, cinéphile), Zoé Sans-Arcidet-Lacourt (directrice de projets culturels).
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Fifaac 2018 – 3/4

Les récits dans le brouillard de J. Amimer

Les Récits d’Oradour, film de Jérôme Amimer projeté ce samedi dans le cadre du festival du film d’architecture de Bègles revient sur l’histoire dramatique du village d’Oradour-sur-Glane où 642 personnes (hommes, femmes et enfants) furent exterminés par les nazis en 1944, par la division SS Das Reich, lors du repli de l’armées allemande. Après la guerre et la décision prise par le général De Gaulle de faire d’Oradour un symbole, le village s’est figé dans son passé et dans les ruines des maisons qui lentement subissent le grignotage du temps qui passe…


A la source du passé familial

En allant filmer ces places et ces rues abandonnées à leur désolation et en donnant la parole à ceux qui sont les héritiers des martyrs de 1942, Jérôme Amimer poursuit le lent et patient travail introspectif engagé autour de sa propre souffrance familiale. Celle qui prend sa source dans le passé d’une grand-mère russe échappée en 1942 de son village également brûlé par les nazis.

Comme en zone d’ombre

Toute la filmographie du réalisateur est marqué du sceau de ce destin familial, depuis Le Reflet en 2008 suivi de L’ombre en 2011, puis Khatyn (2012) consacré  au massacre du même nom, en Biélorussie (1943). Dans La Cité Intérieure (2016), Jérôme Amimer livre cette confidence au sujet de son enfance et de cette «mémoire familiale qui [le] fuit» :

« J’étais toujours comme en zone d’ombre […] J’ai l’impression d’être dans un brouillard bizarre… »

Pour ces Récits d’Oradour, après la projection il parle de l’évidence de choisir le noir et blanc et de l’importance des voix de ceux qui n’en finissent pas de raconter cette histoire,  comme une litanie, une complainte qui les hante. Son film est à son image: terriblement mélancolique.

Illustrations: Les Récits d’Oradour © Leitmotiv Production

Fifaac 2018 – 2/4

La voix des murs

Le Fifaac (Festival international du film d’architecture et des aventures constructives)  qui se déroule aux Terres Neuves, à Bègles, jusqu’au 27 octobre (voir notre précédent article), présentait hier, entre autres, deux films en compétition qui a bien des égards apparaissent totalement antagonistes. Je veux parler de Crimée enchantée, un court-métrage de Sophie Comtet-Kouyaté (France, 2017, 30mn) et de Tant que les murs tiennent de Marc Perroud (France, 2017, 52mn).

Le rêve enchanté d’un habitat idéal

Le premier est un film d’architecte conçu autour du projet de rénovation d’un ancien îlot bâti dans le 19e arrondissement de Paris, rue de Crimée, autour d’une cour pavée. Cette réhabilitation  prévoit d’y faire cohabiter des ateliers et des logements sociaux. Le film prend le parti d’un certain onirisme autour du chantier en cours et de performances d’acteurs et de danseurs. Une voix off préfigure la présence à venir des habitants des lieux. Le résultat est agréable à l’œil mais plutôt vide en contenu, hormis le message en sous-texte d’une cohabitation heureuse et partagée bien dans l’air du temps que le titre résume sur l’air du conte de fée. On est donc dans le monde enchanté d’un habitat idéal plus fantasmé que vécu. Des appartements où il faudra vivre, on ne voit d’ailleurs que les fenêtres et les escaliers…

La mémoire de la rue Saint-Maur

De ce point de vue, ce court-métrage adopte une position inverse de celle du magnifique documentaire de Ruth Zylberman, Les Enfants du 209 rue Saint-Maur diffusé au printemps dernier par Arte (France, 2017, 103 min). A partir d’un même parti-pris (un lieu et ses habitants) la réalisatrice racontait la rafle du Vel’d’hiv’ et son lot de dénonciations obligeant les uns et les autres à choisir leur camp ou à affronter leur destin, noué dans les appartements aux parquets grinçants de cet immeuble sur cour du 11e arrondissement de Paris.

Tant que les murs tiennent

Le film de de Marc Perroud (France, 2017, 52mn – Diffuseur : France 3) s’efforce lui aussi de raconter l’histoire d’une communauté humaine à partir des lieux qui l’ont vue exister. Il s’agit ici d’une ruine industrielle bâtie au pied de la citadelle de Besançon, haut-lieu des luttes ouvrières des années 60-70.


Si le montage est un peu foutraque et manque d’informations qui auraient permis aux plus jeunes de mieux s’orienter dans les méandres de l’histoire politique et sociale de la deuxième moitié du XXe siècle en France, l’ensemble est très convaincant et émouvant.

Cinquante ans après la grève et l’occupation de cet immense paquebot de l’industrie textile des Trente Glorieuses vécues sous pavillon Rhodia (le groupe Rhodiaseta, spécialisé dans la fabrication de fils synthétiques genre Tergal) le réalisateur donne la parole aux anciens ouvriers, qui occupèrent l’usine en 1967, participèrent au mouvement de 1968, assistèrent en 1981 au démantèlement de leur lieu de travail et perdirent leur emploi.

Une cathédrale de l’industrie perdue

Marc Perroud tend également son micro aux grapheurs qui ont pris possession de ce que l’un d’eux décrit à juste titre comme une sorte cathédrale industrielle où la nature aurait repris ses droits, parmi les gravas, les débris de machines et les cartes perforées des métiers à tisser qui jonchent encore le sol. Cinquante ans après 1968, on mesure avec tristesse et un certain effroi l’ampleur des dégâts des délocalisations, dont on n’a pas fini de compter les victimes dans ce que certains appellent désormais les « territoires »…


Un murmure venu du Portugal

Vu également cet après-midi: Construction de la villa Além de Ana Resende, Miguel Tavares, Manuel Viera et Tiago Costa (Portugal, 2017, 55 mn). Un film aux parti-pris radicaux (pas de commentaire, pas de voix, juste le chant des oiseaux et des ouvriers silencieux et harassés). Histoire de la construction d’une villa, celle de l’architecte suisse Valerio Olgiati et de son épouse, au sud du Portugal. Projet moderniste dont les choix rappellent sous certains aspects ceux de la casa Malaparte à Capri (les ouvertures percées dans les murs comme des meurtrières pour laisser entrer le paysage à l’intérieur des volumes). Les plans fixes font référence au style de Manuel de Oliveiras ou plus récemment à celui de Miguel Gomes (le réalisateur de Tabou, 2012), amenant à penser qu’au Portugal la voix des murs semble suivre la cadence lente du fado.

Fifaac 2018 – 1/4

Festival international du film d’architecture et des aventures constructives

Le Fifaac  qui s’est ouvert vendredi dernier se poursuit en cette fin de semaine

(25, 26 et 27 octobre) aux Terres Neuves de Bègles.

Cette édition 2018 offre une sélection composée de 16 films de tous horizons, venus notamment de Chine, d’Australie, des Etats-Unis, de Colombie, du Portugal et aussi de France. Le programme est placé sous le signe de l’éclectisme : des  courts, moyens et longs métrages, mêlant documentaires, fictions, clips et films d’animation seront en compétition pour le grand prix, décerné le samedi 27 octobre.

Tania Concko de retour à Bègles

Cette année, le jury composé de professionnels du film et de l’architecture sera présidé par l’architecte Tania Concko, conceptrice du projet de réaménagement du quartier Terres Neuves (ancien quartier Yves Farge) qui lui valut le prix Femmes Architectes 2016 dans la catégorie Œuvre originale*.

Un jury étudiant de l’ENSAP BX composé de 7 étudiants dont 2 Erasmus participera à la sélection finale.

Une sélection sous le signe de l’éclectisme

Pour l’ouverture de cette journée du 25 octobre, les architectes béglais invitants, épaulés par le réalisateur Jean-Marie Bertineau, proposaient sept films de différentes factures. Pour commencer Crimée enchantée, un court-métrage de Sophie Comtet-Kouyaté (France, 2017, 30mn), suivi de Tant que les murs tiennent de Marc Perroud (Inédit, France, 2017, 52mn). Nous y reviendrons demain…

*Le prix Femmes Architectes 2016 décerné par l’ARVHA, l’association pour la Recherche sur la Ville et l’Habitat, avec le soutien du ministère de la Culture et de la Communication, du ministère des Familles, de la Santé et des Droits des femmes, de la Ville de Paris, du Conseil national de l’ordre des architectes.

Images: Fifaac – Tant que les murs tiennent de Marc Perroud (2017)