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Adieu, Georgia

Chers lecteurs,

Voici un peu plus de dix ans que j’ai créé ce blog, auquel le temps est venu de mettre un terme. Mes plus anciens et fidèles lecteurs savent qu’il prit sa source entre Istanbul et Paris, pour soigner la mélancolie d’un retour pas vraiment souhaité.

En ce temps-là, je m’étais inscrite à l’école des Langues orientales (Inalco), pour y poursuivre à ma façon le voyage en Orient en approfondissant mes connaissances de la langue et de la culture turque. C’est ainsi qu’à l’invitation du monde.fr j’eus l’idée de créer cette fenêtre culturelle ouverte entre la France et la Turquie.

Un vers du poète turc Ilhan Berk m’avait soufflé l’idée du titre :

Où est passée Zozo Dalmas ?

Sur cette piste, je m’étais lançée à la poursuite de mon héroïne: une danseuse  des années 1930 ressuscitée par la magie du poème.  Une femme célèbre dans toutes les capitales du Moyen-Orient de l’époque: Beyrouth, Le Caire, Constantinople… Cependant, à l’image de l’ancienne Byzance,  dont j’avais arpenté les rues et les ruelles avant de m’en éloigner tandis que le vent de la politique commençait à souffler sur les minarets, l’histoire de Zozo m’avait toujours échappé, fuyante comme une anguille…

Un message venu de Grèce au sujet de Georgia

Jusqu’au jour où, sept ans plus tard, je reçus un message posté de Grèce par lequel mon correspondant, qui porte le beau prénom de Moïse, me transmettait de nouveaux éléments sur Zozo. Il m’apprit ainsi qu’en vérité elle s’appelait Georgia, et avait fini ses jours sur les doux rivages du golfe de Corinthe où il passait lui-même ses vacances avec son épouse.

«  Nous avons cherché qui était cette femme blonde emblématique de la marque de cigarette Santé que vous évoquiez dans votre article, m’avait-il écrit, et il n’y a guère que votre blog qui nous en a informé ».

Vous trouverez ici le déroulé de ces années dix années pendant lesquelles la Turquie et la France n’ont malheureusement pas connu les jours les plus heureux de leur histoire.

Tous les articles écrits au fil de ce temps suspendu sont réunis ici. Vous pouvez donc les explorer à votre guise…

Marie-Michèle Martinet

Illustrations: Le Bosphore depuis ma fenêtre à Beyoglu en 2006 ©Marie-Michèle Martinet – Paquet de cigarettes grecques de la marque Santé. © Santé, Georgia dans sa maison de Galaxidi.

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Promenade au parc Gezi

Si vous lisez ce blog depuis sa création, vous aurez sans doute remarqué que la Turquie s’y fait de plus en plus discrète. Certains d’entre vous le regrettent. Et moi-même, parfois… Sauf qu’il ne me semblerait pas honnête de continuer à faire comme si de rien n’était, de parler d’Istanbul comme si j’étais toujours là-bas, au  cœur de cette ville qui me fait parfois l’effet d’un bateau qui s’éloigne, comme les vapur que je voyais à ma fenêtre, traversant le Bosphore en direction d’Haydarpasa. Et puis, la radio a annoncé l’autre jour que des manifestations avaient lieu en plein centre d’Istanbul. Et les souvenirs ont refait surface…

Selon ses bonnes habitudes, la police anti-émeutes était en train de déloger à coup de gaz lacrymogènes pulvérisés à bout portant et de lances à eau dans la nuque ceux qui occupaient la très symbolique place Taksim. Il s’agissait pour ces intrépides de barrer la route aux pelleteuses chargées de faire table rase des grands arbres du parc Gezi pour les remplacer par un de ces projets immobiliers que la ville, en pleine expansion, a multiplié depuis une dizaine d’années. A tel point qu’en la quittant, je me suis dit que c’était peut-être mieux ainsi : ainsi je n’assisterais pas plus longtemps à la destruction de ce que j’avais tant aimé. J’avais déjà vu mon cher quartier de Beyoglu défiguré par  l’arrivée de Starbucks, des pâtisseries industrielles et du prêt-à-porter moche. Adieu le salon de thé Markiz, les librairies et le vieux bijoutier Diyamanstayn.…On avait sommé les commerçants de coordonner la décoration de leur devanture, qui furent repeintes d’une étrange couleur caca d’oie agrémentée de fausses dorures clinquantes. Les néons des années 50 ne survécurent pas à ce nettoyage au Karcher, même pas mon préféré, celui de ce cabaret nommé Chanzélizé (Champs-Elysées, a la turca) qui représentait une danseuse en mouvement. Par la magie du courant alternatif, la fille rose fluo en maillot vert anis levait la jambe en cadence. Plus tard, je l’ai ressuscitée, cette danseuse électrique: dans un roman. C’est le triste privilège des romanciers…

En écoutant les nouvelles à la radio, une vague de fond est donc remontée à la surface de ma mémoire, bercée par la voix de  Serif  Gören (qui réalisa, avec Yilmaz Guney, alors en prison,  le film Yol, Palme d’or 1982 à Cannes). En 1987, il m’avait fait visiter son quartier de Cihangir en me montrant les emplacements des anciennes maisons de bois  mystérieusement détruites par l’incendie, une nuit, toujours la nuit, comme par accident, pour dégager le terrain nécessaire à la construction d’un de ces immeubles en béton qu’il exécrait.

Vous me direz peut-être  qu’il ne s’agissait que de vieilles maisons prêtes à tomber en ruines. Et que dans l’affaire qui nous occupe ces jours-ci,  il ne s’agit après tout que d’un parc… Peut-être, mais je me souviens aussi d’un chauffeur de taxi turc rencontré un jour à Paris. Apprenant que je vivais à Istanbul, il était devenu intarissable sur cette ville qui avait été la sienne et, tout en conduisant, il me parla de ce parc avec un pincement dans la voix : « si vous aviez vu la place Taksim du temps de mon enfance. Et le parc Gezi, planté d’arbres magnifiques. Je m’y rendais souvent, avec mon grand père… »

Si je vous parle de tout cela, c’est parce qu’au delà de l’aspect purement politique, qui risque d’ailleurs de prendre finalement le dessus, il me semble que la question de départ qui est posée, ces jours-ci, en Turquie, c’est celle, à la fois simple et compliquée, du style de vie. Ce sujet-là ne se limite pas à un raz-le-bol du parti AKP au pouvoir et dépasse largement le cadre de la seule Turquie. Il concerne notamment  la privatisation de l’espace public (le mot gezi se traduit par promenade, en français) au  bénéfice de l’espace privé réservé aux élites (à ce sujet, je vous conseille de lire  l’article consacré il y a quelques années par Etudes balkaniques à la notion d’espace public dans la ville ottomane).

Si l’on observe la révolte en cours sous cet angle-là, alors la  restriction de l’espace public urbain apparaît comme  une métaphore du rétrécissement du champ des libertés de chacun, si infimes soient-elles. Et malheureusement pour les Turcs, le problème ne date pas non plus de l’arrivée des islamistes au pouvoir. Pour cette raison, ceux qui affrontent ces jours-ci la police me semblent faits de la même pâte que ceux qui accompagnaient le cortège funéraire du journaliste  assassiné, Hrant Dink. Ce jour-là, bravant la police et un siècle de non-dits sur le génocide arménien, ils proclamèrent qu’ils étaient tous des Turcs arméniens.

Parfois, les petites interdictions pèsent sur la vie quotidienne comme un couvercle. Ici comme là-bas… Il peut s’agir d’un arbre; de la longueur d’un ourlet… Vous vous souvenez, il n’y a pas si longtemps, de nos trains? Ils roulaient moins vite qu’aujourd’hui, certes, mais ils étaient équipés de fenêtres, des vraies, celles que l’on peut ouvrir et fermer. La vitre portait une inscription: e periciloso sporgersi. Mais on se penchait quand même un peu, pour le plaisir du vent dans les cheveux. C’est aussi ce genre de libertés que l’on a perdues. Ici comme ailleurs… Des trucs simples mais essentiels, comme les arbres du parc Gezi.  Alors, il me semble que nos brillants éditorialistes parisiens seraient bien inspirés de modérer leur ardeur avant de se lancer, comme je l’ai entendu ce matin à la radio, dans de lyriques envolées anti-turques et de douteux amalgames avec le «printemps arabe» qui n’a d’ailleurs, selon moi, que bien peu de sens, même en Afrique du Nord, où ce terme collectif fait fi des spécificités de chacun des pays concernés.

En écoutant la radio, je fus donc bien heureuse d’entendre que les jeunes Turcs occupaient bravement la place Taksim. En dépit des efforts déployés par le premier ministre Recep Tayyip Erdogan (démocratiquement élu, rappelons le quand même, et en très bonne position pour être réélu la prochaine fois)  pour freiner leurs ardeurs: interdiction pour les hôtesses de Turkish Airlines d’utiliser un rouge à lèvres de couleur vive, interdiction de s’embrasser sur la bouche sur les quais du métro, restriction de la vente et de la consommation d’alcool… Un de ces jours, si Dieu le veut, j’irai  boire un raki à Istanbul avec mes amis. Mais nous ne pourrons plus  jamais poursuivre la soirée en allant  voir un film au cinéma Emek puisque ce même gouvernement a également décidé de sa démolition. Et je ne me pencherai plus à la fenêtre des trains de mes vacances. C’est bien dommage…

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L’écrivain Orhan Pamuk, dans Istanbul, souvenirs d’une ville, l’ouvrage qu’il a consacré à sa ville chérie, évoque lui aussi les incendies planifiés et rend hommage à Antoine Ignace Melling  (1763-1831). Architecte, peintre, graveur… et infatigable voyageur, il séjourna à Constantinople pendant dix-huit ans et devint architecte impérial du sultan Selim III. Son œuvre picturale volumineuse, remarquable par son sens du détail, donne une image précise et délicate de la société ottomane de son époque.

Istanbul, souvenirs d’une ville, d’Orhan Pamuk, Gallimard, 2007

Lire aussi les nouvelles et romans de Nedim Gürsel parmi lesquels je ne citerais pour le moment qu’un titre évocateur: Sevgilim Istanbul (Istanbul, ma bien-aimée). Sur l’actualité de la place Taksim, Nedim Gürsel a publié une tribune dans le journal Le Monde.

Illustrations:  Fikret Mualla (1903-1967).

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Pour suivre au jour le jour l’évolution des événements en Turquie, consulter  deux excellents blogs:

Celui de l’historien et chercheur spécialiste du monde turc, Etienne Copeaux:

http://www.susam-sokak.fr

Celui de la journaliste franco-turque Defne Gürsoy sur Mediapart:

http://blogs.mediapart.fr/blog/defne-gursoy

Mithat Bey & Co

Festival du cinéma turc de Paris — Filmothèque du Quartier Latin —   Du 30 mars au 8 avril — 9, rue Champollion — 75005 Paris

Pour ceux qui, comme moi, auraient besoin d’une session de rattrapage sur l’actualité du cinéma turc, la  Filmothèque du Quartier Latin propose, jusqu’au 8 avril, une semaine de projections de films qui ont fait l’actualité de l’année écoulée: sept films montrés pour la première fois ou presque en France, des rencontres avec des réalisateurs et des acteurs ; des documentaires inédits, une sélection de courts-métrages…

Dans 11’e 10 kala : voir la bande-annonce — (Titre français: Les Collections de Mithat Bey, 2010), la réalisatrice Pelin Esmer confronte les univers contrastés d’un vieux collectionneur compulsif, amoureux de son vieil Istanbul, et celui du concierge de son immeuble, dont le monde se limite au périmètre restreint du pâté de maison. Jusqu’au jour où un projet de rénovation va rapprocher les deux hommes…

Ce film rend hommage aux romanciers turcs mélancoliques de la première moitié du siècle dernier, tels Ahmed Hamdi Tanpinar et ses horlogers neurasthétiques, et  Reşat Ekrem Koçu (1905-1975) auteur d’une fameuse  Encyclopédie d’Istanbul  inachevée (İstanbul Ansiklopedisi). Il a reçu notamment  le prix spécial du jury au Festival du film d’Istanbul et celui du  Meilleur Film au Festival de  Nuremberg.

 

Kosmos

Place au cinéma turc ce week-end (21-22 janvier) et le prochain (30 janvier) à Ris-Orangis, où Les Cinoches proposent une sélection représentative de la nouvelle génération de cinéastes d’Outre-Bosphore qui ont particulièrement brillé dans les salles obscures et les festivals européens en 2010.

Pour en parler, je laisse la parole à Mehmet Basutçu, qui a dirigé l’ouvrage de référence sur le septième art made in Turkey (Le Cinéma turc, éditions du Centre Pompidou, 1996): une bible qui mériterait une réédition révisée et augmentée… En attendant, il fait le bilan de l’année écoulée:

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Le nouveau cinéma turc dont on parle depuis dix ans, vient de vivre une année exceptionnelle. Désormais recherché par les directeurs des festivals les plus prestigieux, il a remporté l’Ours d’or au dernier Festival de Berlin avec Miel (Bal, 2010) de Semih Kaplanoğlu, et le Lion d’or de la première œuvre avec La Majorité (Çoğunluk, 2010) de Seren Yüce au Festival de Venise en septembre dernier.

La programmation proposée par Les Cinoches, rend bien compte de la riche diversité de cette cinématographie éclatée:

La Saison de la chasse  (Av Zamanı, 2010) de Yavuz Turgul est un bel exemple de cinéma populaire de qualité. Il a attiré cette année plusieurs millions de spectateurs assurant à la Turquie la première place en Europe au classement par parts de marché du cinéma national: plus de 55% de la fréquentation globale au cours de l’année écoulée.

Le cinéma d’auteur est également présent avec notamment Kosmos (Id., 2009), le chef-d’œuvre  de Reha Erdem également sélectionné au Festival de Berlin l’an dernier:

http://www.dailymotion.com/swf/video/xb98z0?width=&theme=none&foreground=%23F7FFFD&highlight=%23FFC300&background=%23171D1B&start=&animatedTitle=&iframe=0&additionalInfos=0&autoPlay=0&hideInfos=0KOSMOS – Reha Erdem

PS: Après visionnage de Kosmos (et après en avoir parlé avec Mehmet du côté de l’aéroport d’Orly après la projection), je dirais que  le film de Reha Erdem est “presque” un chef-d’œuvre. Tourné très vite (trop vite?) pour des raisons budgétaires, il pâtit de cette hâte, qui nuit notamment au rythme de cette histoire foisonnante. Peut-être serait-il judicieux d’élaguer un peu au montage pour ramener le film à un format plus classique: deux heures quinze, c’est un peu long… Cependant, la luxuriance de l’univers du cinéaste et la somptuosité des images (surtout les magnifiques plans de nuages, de prairies enneigées, d’oiseaux dans les arbres nus… et le regard inquiet des bêtes livrées à leur destin) compensent largement ces imperfections.

Egalement au programme de ce festival de Ris-Orangis: le plus italien des réalisateurs turcs, Ferzan Özpetek… et le plus allemand, Fatih Akın.

Photo: Là-Bas (Orada, 2009) de Hakkı Kurtulus et Melik Saraçoglu. Au programme le 30 janvier à 17h 30.

Pour plus de détails:

Les Cinoches – Centre culturel Robert-Desnos – les Arènes de l’Agora
1 allée Jean-Wiener – 91130 Ris-Orangis
01 69 02 72 76

Sur la piste de Zozo

J’ai retrouvé la trace de Zozo Dalmas ! Alors que je commençais à désespérer de croiser la route de celui ou celle qui aurait conservé un souvenir d’elle assez vivace, j’ai rencontré l’autre jour celle qui s’est enfin exclamée : « Evidemment, Zozo Dalmas ! bien sûr ! Qui pourrait ne pas se souvenir d’elle ! ».

Celle qui m’a répondu ainsi est Grecque. Elle s’appelle Anthi Karra. Elle vit à Bruxelles où elle travaille comme traductrice, parallèlement à son travail de recherche universitaire. En littérature, elle est notamment la traductrice dans sa langue de Nedim Gürsel.

C’est encore grâce au cher Ilhan Berk que nous nous sommes rencontrées, dans le cadre du séminaire Traduire la Turquie organisé à l’EHESS à l’initiative de Timour Muhidine et d’Altan Gökalp qui vient malheureusement de nous faire faux bond.

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Voici ce qu’Anthi Karra me précise à propos de Zozo :

« Elle était vraiment très célèbre dans les années 1930. En 1931, à Istanbul,  elle tenait un rôle dans l’opérette intitulée Leblebici Horhor Aga (Horhor, vendeur de pois chiches) qui remporta un immense succès. »

Il s’agit sans doute du même Horhor que celui qu’évoque Giovanni Scognamillo dans Le Cinéma turc mais il faudra vérifier les dates car M. Scognamillo parle d’une « opérette devenue un film muet » en 1923. Ainsi que de Cici Berber (Le Charmant Coiffeur)…

Je vous ai déjà signalé pour ma part qu’un film  est en projet  à Athènes (il semble qu’il ait pris un peu de retard). Anthi Karra me transmet également le lien d’un blog entièrement consacré à notre diva: j’y ai découvert cette photo-portrait.

Quant à Ilhan Berk, je souligne qu’une traduction de son œuvre est déjà en cours, en Angleterre, à l’intiative de George Messo qui est son traducteur, en anglais.

Un amour de secrétaire

Kâtibim (également baptisé, selon les versions Üsküdar’a gider iken) est un classique de la chanson populaire turque. Son origine varie selon les sources.

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Aux dires de certains, elle fut composée sous le règne du sultan Abdülmecid pour se gausser des fonctionnaires qui, se rendant à la caserne de Selimiye, (sur la rive asiatique d’Istanbul, dans le quartier d’Üsküdar) obéissaient à la lettre au firman impérial et délaissaient le vêtement traditionnel et la culotte bouffante pour le complet-veston occidental.

La mélodie serait une version détournée d’une marche militaire écossaise (on était alors en pleine guerre de Crimée). Les paroles furent suffisamment travesties pour ne pas éveiller les foudres de la censure : il y est question d’un charmant secrétaire au col amidoné et de loukoums enveloppés dans un mouchoir et gracieusement offerts en gage d’amour.

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La chanson a fait le tout du monde. (ci-dessus, une version cinématographique avec le cultissime Zeki Müren dans le rôle-titre)

En souvenir d’une soirée avec Dominique, Simon et Steve, voici ma version préférée (en turc)  par Eartha Kitt, la très sensuelle chanteuse noire américaine, considérée par Orson Welles comme la femme la plus sexy du monde : ne ratez surtout pas la fin…

Le Cinéma Emek

inclus:

Palmarès du 29e festival international du film d’Istanbul

 

Le cinéma Emek va t-il disparaître ? A Istanbul, il en est fortement question depuis qu’un « projet de restauration »  prévoit un complet réaménagement du bâtiment qui l’abrite. Objectif : transformer le tout en centre commercial avec salles multiplexes modernes. Si ce projet est mis en œuvre, cela voudra dire que l’on aura détruit l’une des plus anciennes et des plus belles salles d’Europe encore debout.

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Le cinéma Emek (ancien Melek sinemasi) fut créé en 1923 dans cet immeuble datant de 1862 qui abrita aussi le Cercle d’Orient (fameux rendez-vous des diplomates étrangers et des espions). Il possède des plafonds de style baroque. Et un magnifique balcon.

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Depuis près de 30 ans, ce cinéma rénové dans les années 1990 héberge le Festival international du fim d’Istanbul. Depuis bien plus  longtemps encore, la salle qui peut accueillir 875 personnes abrite dans le drapé de son  immense rideau de velours une bonne part de l’histoire du cinéma turc. Pour y entrer, on accède au guichet par la rue Yesilçam, du nom des fameux studios stambouliotes. Tout un programme…

Photos: http://www.dogansehirdernegi.com

Festival international du film — du 2 au 18 avril 2010

Voir aussi la pétition diffusée dans le cadre du Festival par les professionnels du cinéma qui veulent défendre Emek.

Demir Özlü

envoie une lettre de Stockholm

J’ai reçu l’autre jour un message de Demir Özlü qui fait suite à une très bonne soirée passée cet hiver dans un petit restaurant du XVe arrondissement, à Paris, à boire du Chablis. Et à se chamailler sur Jean-Paul Sartre et Albert Camus. Et aussi à débattre sur le goût immodéré des Turcs pour les espions…

Dans son petit mot, il nous dit que l’hiver fut cette année particulièrement dur, à Stockholm où il habite. Et il fait part de son projet d’aller bientôt à Istanbul pour y mettre de l’ordre dans sa bibliothèque, dans l’espoir d’y retrouver notamment un article qu’il écrivit en 1957 quand Albert Camus reçut le prix Nobel de littérature. Ce qui prouvera au passage à ceux qui en douteraient encore combien la littérature française était alors présente dans le cœur et dans l’esprit des lettrés turcs. Demir Özlü nous apporte également quelques éclaircissements sur le mystérieux séjour de Giacomo Casanova à Constantinople, dans la rue où j’ai moi-même habité beaucoup plus tard…

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Chère Zozo,

Giacomo Casanova a vraiment vécu à Istanbul: pendant plusieurs mois, il s’est installé dans une maison située dans la Postacılar Sokağı, où il était hébergé par  une famille turque occidentalisée qui possédait là un grand konak entouré d’un vaste jardin. Naturellement, toutes les femmes étaient amoureuses de lui, même s’il  avait fait le choix de mener à Constantinople une vie discrète.

J’adore la musique du Rembetico. Mais il faut boire beaucoup trop de raki ou d’ouzo quand on l’écoute… Peut-être le savez-vous déjà:  Costas Ferris a fait un film qui est intitulé Rembetico et que j’ai vu deux fois, à Berlin, en 1984. Et en 1988, au mois de septembre, j’ai fait la connaissance de ce réalisateur  grec. C’est un homme très modeste et très brun qui vit à Itea, près du golfe de Corinthe.

Quand je serai à Istanbul, dans la maison de Feriköy, j’essaierai de mettre la main sur mon article sur Albert Camus écrit en 1957 pour Cumhuriyet.

A bientôt,

D.Ö.

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Illustrations: Melons et pastèques, Süleyman Seyyid (1842-1913)

Rappel: Parmi les nombreux ouvrages de Demir Özlü, les éditions Petra ont publié l’année dernière Un rêve de Beyoglu, (édition originale: 1985 – Traduction: Célin Vuraler)

Metin Erksan

Metin Erksan tient une place à part parmi les réalisateurs du cinéma turc.

Né en 1929, il a tourné ses films les plus marquants dans les années 60: il obtint alors l’Ours d’Or au festival de Berlin  pour Un été sans eau tourné en 1963.

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Son style dialogue souvent avec celui du cinéma italien de son époque: préoccupation sociale des néoréalistes. Interrogation sur l’impossibilité de communiquer, à la manière d’un Antonioni. Il se distingue de la plupart de ses confrères stambouliotes par la sophistication de ses scénarios, non dépourvus d’un certain maniérisme qui agace ses détracteurs.

On peut également considérer que l’univers de Metin Erksan  porte en lui les germes du cinéma d’un Nuri Bilge Ceylan: une certaine lenteur et, comme le fait remarquer la note qui lui est réservée dans l’annuaire établi par Le Cinéma turc (lLe Livre de référence sur le cinéma turc du 20e siècle):
«  des histoires élémentaires dont l’eau, le ciel et la terre sont les inévitables protagonistes ».

Des histoires où les personnages sont souvent aux prises avec les tourments d’un univers intérieur proche de la folie. Comme c’est le cas dans Le Temps d’aimer. Tourné en 1966, ce film qui privilégie la forme poétique et onirique fit polémique en Turquie. Il raconte les amours impossibles d’un jeune homme qui tombe amoureux du portrait d’une jeune femme au point de préférer cette image à la personne réelle qui en est le sujet d’inspiration.

Après quelques plans fixes sur des visages inondés de pluie (tournage en hiver aux îles des Princes), l’extrait ci-dessous montre quelques rares images du bonheur envisagé comme une improbable apparition: jusqu’aux pas menus des trois filles gambadant sous les pins avec leurs ombrelles. On dirait que le réalisateur fait alors un clin d’oeil à Ozu…

La Cinémathèque rend hommage au cinéma de Metin Erksan jusqu’au  5 avril.

Cinémathèque française 51, rue de Bercy – 75012 Paris

Semih Kaplanoglu

des œufs, du lait et du miel

Encore une bonne nouvelle pour le cinéma turc puisque le Lion d’or de la 60e Berlinale a été attribué samedi  soir au film Bal (Miel, en français) de Semih Kaplanoglu.

Ce film poétique est construit autour du personnage d’un enfant, fils d’un apiculteur, qui vit avec sa famille dans une forêt.

C’est le dernier volet d’une trilogie (La Trilogie de Yusuf), entamée avec Yumurta (Œuf, en 2008) puis Süt (Lait, en 2009).

Dès le mois d’avril dans Babelmed, au moment du festival d’Antalya, Mehmet Batsutçu avait attiré notre attention sur ce réalisateur.

Hier, il m’a envoyé un message enthousiaste que je prends la liberté de vous transmettre :

C’est en effet une très bonne nouvelle [que cet Ours d’Or à Semih Kaplanoglu à Berlin] ! Trois des cinq films de Semih étaient au programme de Travelling Istanbul, à Rennes, la semaine dernière…

Süt, deuxième volet de la trilogie (l’adolescence du poète Yusuf) est sorti en Turquie en 2009. Il n’a été vu que par 6613 spectateurs alors que les cinq meilleurs films turcs du box-office ont enregistré près de 12 millions de spectateurs…

Le Lion d’Or va faire découvrir Semih Kaplanoghlu aux Turcs! Exactement comme cela a été le cas de Nuri Bilge Ceylan à l’époque d’Uzak

Pour ma part, j’espère que l’intégrale de la Trilogie de Kaplanoghlu sortira bientôt un peu partout en France.

 

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Voir aussi le dossier spécial cinéma turc des Cahiers du Cinéma.

Photo: Yumurta.