En ces derniers jours du mois d’août, j’aimerais vous dire quelques mots d’un court voyage réalisé cet été dans une terre de France qui m’était jusque-là inconnue : l’Ariège. L’endroit se trouve à une centaine de kilomètres au sud de Toulouse, entre Pamiers et Mirepoix. je n’en dirai pas plus… C’est une grande propriété dotée d’un parc tout aussi vaste. Sitôt arrivée, mon hôte m’a informée : « vous voyez cet arbre, juste en face, c’est notre tulipier. Il est très âgé… ».
Liriodendron tulipifera
Le temps et les années étant une mesure particulièrement élastique selon la façon dont on les passe, nous en sommes restés là. Pour un moment… Jusqu’à ce que ma mémoire me ramène à Bordeaux, vers le Jardin Public qui contient lui aussi quelques beaux spécimens exotiques.
Dès mon retour à la maison, j’ai engagé des recherches et appris que le tulipier de Virginie (Liriodendron tulipifera), comme le pacanier (noyer de Pécan) et le magnolia grandiflora, font partie des essences introduites en Europe dès le XVIIIe siècle à la faveur du développement des échanges internationaux. Le tulipier de Virginie fit son apparition en France très exactement en 1663. Les deux spécimens les plus célèbres furent offerts à la reine Marie Antoinette en 1771 et plantés à Versailles, où ils succombèrent malheureusement aux assauts de la tempête de 1999.
Un cadeau de l’Amérique à ses amis de France
Avant d’occuper les plus hautes fonctions, le troisième Président de la République des Etats-Unis, Thomas Jefferson, fut ambassadeur de son pays en France de 1785 à 1789. A ce titre, il s’employa à faire découvrir aux Français ces essences jusque-là inconnues sous nos climats. Descendant d’une famille de planteurs de Virginie, il était féru de botanique : six mois avant son arrivée à Paris, il expédia de sa propriété de Monticello, près de Charlottesville, des plants de pacanier.
Lors de sa visite à Bordeaux en 1787, il offrit l’un de ces plants au propriétaire du château Carbonnieux (Léognan). L’arbre mesure aujourd’hui plus de 30 mètres de hauteur, comme celui que l’on peut découvrir au détour des allées du Jardin Public de Bordeaux (classé arbre remarquable par l’association A.R.B.R.E.S. ( Arbres Remarquables: Bilan, Recherche, Études et Sauvegarde) . Il fut planté plus tard, en 1856.

Trois poignées de graine de tulipier
Le philosophe Malesherbes fut du nombre de ceux qui participèrent à l’acclimatation de ces arbres venues d’Amérique. En 1786, il écrit à Jefferson :
« Vous m’avez fait, Monsieur, un présent bien précieux dont je ne peux vous faire assez de remerciements. La noix pacane est un des arbres d’Amérique qu’il est le plus intéressant de naturaliser en Europe. »
Une trentaine d’années plus tard, le 17 août 1804, Adrienne-Catherine de Noailles, comtesse de Tessé, poursuit la correspondance des Français avec Jefferson en rendant compte de ses efforts horticoles et de son attachement à l’amitié franco-américaine:

« J’ai besoin, Monsieur, de vous persuader que mon cœur est pénétré de gratitude par vos constantes bontés et de vous rendre compte du produit de votre caisse.
Les plans de Magnolia sont arrivés hors d’état d’être ranimés. Ceux de Sassafras et de Cornus Florida quoique malades ont repris pour la pluspart assez de vigueur pour espérer de les conserver. Il en est de même des Rosiers ou Eglantiers. […] Nos Tulipiers portent maintenant en France assez de graine pour qu’on ne manqua pas de plants si elle rendait la millième partie de celle d’Amérique, mais il s’en faut bien. Je préférerai toujours trois poignées de graine de Tulipier prise sur un arbre d’Amérique à un boisseau récolté sur un Tulipier de France. »
Un calcul polytechnique
L’histoire ne s’arrête pas là. Ces informations, que je ne manquai pas de transmettre à mes amis, excitèrent leur désir d’en savoir plus sur l’arbre majestueux dont la présence a accompagné l’enfance de leurs ancêtres, la leur, celle de leurs enfants et de leurs petits- enfants.

Le projet prit donc forme de mesurer le tulipier afin de déterminer son âge exact. Ce qui me donna l’occasion de découvrir que l’école Polytechnique est assurément une institution très utile, puisqu’elle enseigne aussi à ses élèves l’art de réaliser ce genre de calcul, même dans les conditions spartiates qui prévalurent au résultat.
Si j’ai bien compris, la méthode fut la suivante: à l’aide de l’épuisette de la piscine, servant de jauge (J), en prenant repère sur la pupille de l’œil (O) de Grégoire, situé entre les pots d’Anduze des citronniers et l’orangerie, et grâce à quelques calculs annexes, Nicolas est parvenu à un résultat digne de l’X dont il est issu : le tulipier ariégeois mesure 34 mètres !
On sait donc maintenant que l’arbre est contemporain de son cousin du château Carbonnieux, qu’il fut sans doute planté à la toute fin de l’Ancien Régime (ou contemporain de la Révolution), et qu’il aurait sans doute beaucoup d’histoires à raconter si nous avions le don de comprendre la langue des arbres.
Illustrations (de haut en bas): planche botanique de la feuille et de la fleur du tulipier. Ellis Rowan, A Guide to the Trees (1900) d’Alice Lounsberry – Portrait de Thomas Jefferson par John Trumbull (1756-1843). Thomas Jefferson Foundation, Inc., Monticello, Virginia – Portrait d’Adrienne-Catherine de Noailles, comtesse de Tessé – Calcul polytechnique de la hauteur du tulipier de l’Ariège (avec mes remerciements à celui qui bien voulu m’en envoyer le résultat).