Nedim Gürsel et les juges: acte III

Nedim Gürsel vit en France depuis les années 1970. Il est venu à Paris, d’abord pour ses études; ensuite, par la force du destin qui, en 1980 en Turquie, a pris l’allure musclée d’un nouveau coup d’État militaire. Il est alors devenu un écrivain de l’exil: déchiré entre l’ici et l’ailleurs; Paris et Istanbul; les choix impossibles; la nostalgie (dont il écrit qu’elle est blessante “comme un poignard rouillé”) et les regrets.

Ses livres ont souvent fait polémique. Et lui ont valu les foudres de la justice. En 1981 (au lendemain du coup d’État) Un Long  Été à Istanbul (Imaginaire/Gallimard) lui coûte une première condamnation par un tribunal militaire pour “offense aux forces armées”. Deux ans plus tard, ce sera “offense à la morale publique” pour son roman, La Première Femme (Le Seuil).

L’année dernière, son ouvrage intitulé  Allah’in Kizlari (Les Filles d’Allah, 2008, Dogan Kitap) est sorti en Turquie. Ce livre, dont la traduction paraîtra en France à l’automne prochain au Seuil, a encore déplu:  cette fois, ce sont les islamistes qui ont déposé une plainte pour “incitation à la haine contre la foi”.

La perspective d’un procès, d’abord écartée par le juge, est revenue d’actualité cette semaine à la suite d’un nouveau recours déposé par les plaignants. Nedim Gürsel est donc à nouveau pris dans la machine judiciaire, comme l’ont été avant lui, ces dernières années, d’autres écrivains et non des moindres, tels que le prix Nobel Orhan Pamuk ou la romancière Elif Safak,  l’historien Murat Belge et le journaliste Hrant Dink, assassiné en 2007 dans des circonstances sur lesquelles on aimerait que la justice turque déploie autant d’énergie qu’elle en consacre à entraver la liberté d’expression.

SevgilimIstanbul.pdf

 

Nedim Gürsel attend de connaître la date de sa convocation par le tribunal de Beyoglu. Il s’apprête pour l’instant à passer quelques jours en Algérie, où il doit présenter le film  adapté de son roman Sevgilim  Istanbul (Istanbul, mon amour, 2007) réalisé par Seçkin Yasar, et dont il signe le scénario.

 

Illustration: affiche — Hakki Misirlioglu

 

 

Extrait: 

Au pays des poissons captifs, Éditions Bleu Autour, 2004, p.106:

Je n’ai pas choisi d’aller à Paris; à chaque fois, j’y étais contraint. Comme les Jeunes Turcs du régime Abdülhamid, j’ai moi aussi carrément pris la fuite. Je suis parti pour de bon. Depuis ce temps-là, Paris est devenu mon port d’attache, alors que je continue de retourner en Turquie. Quant à Istanbul, comme je l’ai dit dans Istanbul, mon amour, c’est désormais la ville où je me rends mais ne retourne pas, même s’il m’est arrivé de déclarer dans Reviens à Sorrente:

Non, je ne suis plus jamais retourné à Sorrente. Les criminels retournent sur les lieux du crime, moi, je suis innocent, monsieur le juge.

 

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