Rébétiko

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En 1922, quand les Grecs de Smyrne quittèrent l’Asie mineure, chassés par les Turcs de Mustafa Kemal, ils embarquèrent à la hâte pour fuir la destruction de leur ville livrée aux flammes. Dans leurs valises, ils emportaient parfois un instrument qui les suivit jusqu’à Athènes. Et une musique : le rebetiko. Parfois appelé rebetika, rembetiko, ou rembetika… dans tous les cas,  un art de vivre, avec peu d’argent, de la classe, de l’alcool de raisin, et des embrouilles comme s’il en pleuvait.

Sur les quais du Pirée, les mauvais garçons venus d’Orient croisèrent d’autres musiciens, des émigrés débarqués des îles de l’Egée à la recherche d’un avenir d’autant plus hypothétique que se profilait déjà, sur l’Acropole, l’ombre de la dictature de Metaxas qui n’avait qu’un goût très limité pour les accords de l’oud et de l’accordéon.

De cette page de l’histoire gréco-turque, David Prudhomme a fait une bande dessinée qui vient de recevoir le prix « Regards sur le monde » au festival d’Angoulême.

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Edité par Futuropolis, son album intitulé Rébétiko est sous-titré : la mauvaise herbe. En souvenir sans doute des mauvais souvenirs laissés par ces arpenteurs de pavés dans les allées de l’honorable société d’Athènes; et de leur habitude de fumer des narguilés préparés avec une autre camelote que cet écœurant  tabac à la pomme ou à la cannelle maintenant en vogue sur les terrasses d’Ortaköy. Quelle désolation !

A Istanbul, le rebetiko n’a pas tout à fait disparu des rayonnages des disquaires. Mais cette musique lancinante, noyée dans le tumulte habituel de la métropole turque, rend plus cruelle encore l’absence de tous ces rums (les Grecs d’Istanbul) qui peuplaient autrefois ce quartier et dont les traces se sont effacées les unes après les autres, dans le secret de quelques appartements aux rideaux tirés où les vieilles photos seront réduites en poussière avec les derniers survivants d’une communauté disparue.

Cependant, le rebetiko continue à mettre les imaginations en ébullition. Il serait même de nouveau à la mode. Voir la  programmation de février de Babylon, la boîte branchée de Beyoglu.

Sur You tube, j’ai également déniché cet improbable clip mettant en scène un rebet aux allures de chat de gouttière passé à la moulinette. Si vous avez des informations complémentaires sur l’acteur principal et les paroles de la chanson…

Vidéo: Μιχ. Γενίτσαρης- Με πιάσαν επί Μεταξά (Ρεμπέτικο)

Le Mont Nemrut

Comme je vous l’avais déjà dit, ces dernières semaines, j’ai poursuivi la traduction d’un livre d’Ilhan Berk publié, en Turquie, aux éditions YKY (Yapi Kredi Yayinlari): Pera. C’est dans ce livre que, pour la première fois, j’ai entendu parler de Zozo Dalmas, décrite en train de retoucher son maquillage dans le hall du Pera Palas (voir note: Pera Palas, janvier 2009). En page 32 de ce même livre, dans un texte intitulé Un Nid d’Amour, Ilhan Berk évoque notamment l’une des maisons de rendez-vous les plus en vue d’Istanbul: celle de madame Atina. En précisant que Zozo Dalmas, «l’une des roses de cet endroit, à la réputation mondiale» figure dans le registre de la patronne comme «artiste-invitée». Et deux pages plus loin, il consacre tout un poème à Zozo, sous le titre suivant:

Zozo Dalmas, une blanche mélancolie

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Une métisse celtico- rum. Une Aphrodite. Mystérieuse, exaltée.

Pas plus de quatorze ans, une jeune beauté de taverne. Refusant de descendre de la balançoire.

A dix-neuf ans, fragile, virevoltante. Toute décolletée, dans une toilette argentée.

Elle rit dans un mélange de turc et d’italien. Longs cils, longs cheveux blonds (avec une bouche violette à faire peur).

Debout, on dirait une esclave. Mince, joli cou de bronze. Tous les soirs, elle cajole son chien.

A vingt et un ans, une photo du genre à colorer de mort le teint de celui qui la touche.

Dans les années 1940, étoile numéro un de l’opéra du Peuple. Souvent elle s’embarque dans des passions sans issue.

Toujours des robes longues et des talons hauts. (Est-ce un rêve d’enfance ?)

Une femme-femme. Un visage de Paris. Avant la représentation elle n’oublie  pas de prendre un bain de lait. Dès ces années-là,  elle dit que «l’amour est une pente».

Dans le registre de madame Atina, elle figure comme « artiste invitée ».

Lorsqu’elle se promène dans Beyoglu, avec sa grande ombrelle et son chapeau rouge,  elle porte toujours des lunettes de soleil jaunes.

A trente cinq ans, elle est tombée amoureuse d’un garçon aux cheveux aussi lisses qu’un mur. Désormais, elle donne à manger à deux souris blanches.

Tous les matins, Madame Atina venait déposer elle-même son thé devant sa grande  psyché.

Une mante religieuse ! Elle a beaucoup papillonné. Faisait collection de timbres. Voulait voir le soleil se coucher sur le mont Nemrut.

Sur une photo qui la montre sur son lit de mort, lèvres ouvertes, elle regarde le monde.

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Avec l’aimable autorisation des éditions YKY

 

Illustrations: Ilhan Berk

In the mood for Zozo

Vous l’aurez compris à la lecture de ma précédente note: je n’ai pas succombé aux charmes du film de Can Dündar, que j’ai trouvé, en dépit d’une volonté affirmée du réalisateur de briser les tabous concernant Mustafa Kemal, très modestement affranchi de la langue de bois qui fait encore souvent office de code obligé, en Turquie, quand il s’agit d’évoquer le fondateur de la République.

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Dans un style plus léger, je crois vous avoir déjà parlé du béguin (c’est charmant et démodé, n’est-ce pas?) de ce bourreau des cœurs que fut Mustafa Kemal, pour Zozo Dalmas. Figurez vous que je viens d’apprendre qu’un réalisateur grec, Pavlos Tasios, s’est s’emparé du sujet. Un film est en préparation, prévu pour le printemps 2010.

Le sujet ? Zozo, bien sûr ! Avec notre cher Mustafa en guest star, dans le rôle du cœur d’artichaut. Et aussi la maman de Zozo, la grand-mère de Zozo, l’impresario de Zozo… bref, une version  glamour  des folles années 1920 sur le Bosphore. Du temps où la beauté de notre flapper rum préférée était si explosive qu’elle inspira même un fabricant de cigarettes grecques au nom si politiquement incorrect : Santé ! Ça change des menaces de mort en vogue. Du genre : Fumer tue. Vivre aussi…

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Dans les prochains jours, c’est promis : j’oublie un peu le cinéma pour revenir à ma traduction. Avec encore et toujours : Zozo Dalmas. Sous la plume de mon  poète préféré: Ilhan Berk.

Pour l’instant, un dernier mot à propos du sublimissime 2046 de Wong Kar-Wai. Long-métrage diffusé ces jours-ci à la télévision (Cinécinéma Club). C’est le troisième volet (selon moi, le plus beau) de la trilogie ouverte avec Nos années sauvages et poursuivie avec le fameux In the mood for love. Encore une histoire de nostalgie, d’amours ratées, de temps qui passe dans le mauvais tempo… Avec des filles belles à couper le souffle : ongles laque de Chine, gants noirs bagués dissimulant, peut-être, une prothèse d’androïde ou de tricheuse au poker, stilettos à semelles clignotantes… Zozo aurait aimé, c’est sûr.

Illustrations: Clip Art Films – Greek Film Center

Reproduction du paquet de cigarettes grecques de la marque Santé, à l’effigie de Zozo Dalmas

Photo du film 2046, de  Wong Kar-Wai (Chine, 2004)

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Ma femme m’a tuer

Aujourd’hui, 14 mars : j’attends toujours celui (celle) qui me parlera à son tour de Zozo Dalmas. J’aimerais bien recevoir un jour un message qui ressemblerait à ceci : mais oui, bien sûr, Zozo Dalmas ! Elle jouait tous les vendredi au brigde avec ma grand-mère…

A défaut de rencontrer les lecteurs qui me remettraient sur la trace de cette chère Zozo, je m’amuse parfois à imaginer les raisons, parfois incongrues, qui ont pu vous conduire  jusqu’à moi. Pour cela, je vais parfois consulter la liste des mots-clefs utilisés pour localiser ce blog.

Certains de ces mots-clefs coulent de source. Genre ZOZO DALMAS. Mais il y a aussi des erreurs de parcours : la semaine dernière, un lecteur était à la recherche d’un certain GEORGES DALMAS. Il a finalement trouvé Zozo…

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Il y a aussi des mots-clefs aussi énigmatiques que des serrures à triple système. Exemple : TRAIN FANTÔME DÉTRUIT A CANNES. Je voudrais bien savoir par quel chemin tortueux une telle recherche a pu aboutir sur ce blog. Il y a aussi ce CROQUIS LORIENT envoyé peut-être par un architecte soucieux d’expédier à LORIENT le CROQUIS d’un projet encore dans les limbes d’une imagination à la dérive, déjà en route  vers un désir d’ORIENT propice aux lapsus.

Certains mots-clefs sont à inscrire sur liste rose. Ou classés X, comme le mot SOUBRETTE qui tient la pole position au Top Ten de vos nombreuses inspirations. Il y a aussi les recherches inassouvies, telles cette HISTOIRE DE FEMMES QUI BAISENT AVEC… dont on ne connaîtra jamais la fin. Car entre un blog et un psy, il y a quand même un gouffre. Le premier coûte moins cher mais sa capacité d’écoute est limitée à un nombre de signes typographiques réduit. On ne saura donc jamais quel est le profil des partenaires dont il est question dans cette HISTOIRE DE FEMMES inachevée.

Attention quand même, chers lecteurs, aux fautes d’orthographe qui pourraient vous expédier en moins de temps qu’il ne faut pour l’écrire dans le bureau d’un commissaire suspicieux : MA FEMME M’A TROMPER (sic) EN TURQUIE pourrait rappeler à certains enquêteurs zélés quelques mauvais souvenirs… Et à ma connaissance, Zozo ne s’appelait pas Omar.

Photo: Jeanne Moreau, sublime dans La Baie des Anges de Jacques Demy
© Cinétamaris

Zozo s’appelait Georgia

Après avoir traduit le poème d’Ilhan Berk, la question était donc de savoir pourquoi il avait signalé la présence de Zozo Dalmas au Pera Palas après avoir évoqué celles, immédiatement identifiables car célèbres, de  Greta Garbo, de Charles Boyer et des pachas Jeunes-Turcs…

N’ayant reçu, depuis la création de ce blog, aucun signe d’aucune personne susceptible de me fournir le moindre indice  à ce sujet, je me suis finalement décidée à lancer une recherche…

Clic: Google. Recherche: Zozo…

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Je n’ai trouvé à son sujet aucun document en français. Mais  il y avait des pages en anglais et en grec, qui m’ont appris que dans la vraie vie Zozo s’appelait Georgia Stavridou. Et qu’elle était née à Salonique en 1911.

J’ai su aussi, comme je m’en doutais, que sa carrière d’actrice et de chanteuse d’opérette avait débuté dans les années 1920. Et que très vite, sa beauté lui avait valu de devenir célèbre en Grèce, et aussi à Chypre, en Syrie, en Egypte. Et en Turquie.

Un soir, à Istanbul, sa route a croisé celle  de Mustafa Kemal. Et il est aussitôt tombé amoureux de cette Blond Venus dont l’image figure toujours, paraît-il, sur le paquet d’emballage d’une marque de cigarettes grecques.

Voilà ce que j’ai découvert, sur internet, à propos de Zozo Dalmas…

Je sais aussi maintenant que sa carrière s’est achevée dans les années 1950. Et qu’elle est morte en 1988, dans l’oubli et le dénuement. A Athènes…

Tableau: Gustav Klimt, Serpent d’eau.

Madame Kalitea

N’allez pas vous imaginer que je n’ai rien remarqué : je sais qu’il y en a qui trichent en allant au renseignement, en catimini, sur internet. Clic sur Google. Recherche : Zozo Dalmas. Tout ça pour connaître la fin de l’histoire avant tout le monde. Mais je vous l’ai dit : je n’ai pas l’intention de me presser: n’oubliez pas que ce qu’il y a de mieux dans les voyages, c’est ce qu’on imagine avant d’être parti. Pour la lecture, c’est pareil. Et en amour aussi. C’est toujours mieux avant. Après, au mieux c’est juste de la vérification, au pire, de la déception.

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Puisqu’il en est ainsi, je ne vous dirai aujourd’hui rien de plus sur Zozo. Et d’ailleurs, l’autre jour, j’ai écrit que je ne savais pas ce qu’elle faisait en 1919, mais que cette année-là on tournait un des tout premiers films de fiction du cinéma turc. Et que Zozo n’y avait pas de rôle. Après tout, il n’y a pas qu’elle qui compte…

Ce film de 1919 dans lequel elle ne figurait pas s’intitule La Gouvernante, du réalisateur Ahmet Fehim. Il tient une place à part car il marque la première intervention (malheureusement pas la dernière) de la censure dans le cinéma turc. Et c’est aux Français que revient ce regrettable honneur d’avoir inauguré cette pratique, car le personnage de la gouvernante mis en scène par Ahmet Fehim est plus précisément celui d’une gouvernante française hystérique. Ce qui n’eut pas l’heur de plaire aux forces d’occupation françaises installées alors à Istanbul qui, considérant sans doute qu’une telle histoire leur offrait une bien mauvaise publicité, firent interdire la diffusion du film en Anatolie.

L’actrice qui incarnait le rôle titre s’appelait Madame Kalitea.

Photo: Madame Kalitea dans La Gouvernante, d’Ahmed Fehim (1919)

Zozo fait son cinéma

J’avais quitté Zozo Dalmas au Pera Palas. Un soir d’été (voir les notes précédentes : Pera Palas et Rouge Baiser). Tandis qu’Enver Pacha remontait le grand escalier de l’hôtel, Zozo donnait un coup de frais à son make-up. Et puis… plus rien. A quelle heure la soirée s’était-elle terminée ? Qu’avait-elle fait après le feu d’artifice ? Résidait-elle à l’hôtel ? Je n’en savais rien. Elle n’avait fait que passer dans une note de bas de page d’un poème d’Ilhan Berk…

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C’est dans un autre livre que j’ai retrouvé sa trace. Un livre qui est la référence du cinéma turc*. Il fut conçu à l’occasion de la grande rétrospective présentée par le Centre George Pompidou en 1996. Un vaste panorama du cinéma turc, composé sous la direction de Mehmet Basutçu, qui retrace l’histoire du cinéma dans ce pays et analyse, sous la plume de quelques noms prestigieux tels que Yachar Kemal, les courants parfois contrariés du septième art turc. Et tisse savamment les liens rattachant ces courants artistiques aux mouvements politiques et sociaux qui ont agité ce pays depuis un siècle.

A la page 76 de l’ouvrage, le nom de Zozo Dalmas a refait surface. Sous la plume de Giovanni Scognamillo, elle est apparue vêtue de noir et de blanc, dans un film de l’incontournable Muhsin Ertugrul, de 1933. Alors je me suis dit que le personnage commençait à se préciser : maintenant, je savais que Zozo était comédienne. Mais quel était son rôle dans ce film ? Je vous l’expliquerai dans mon prochain billet.

*Le cinéma turc –  sous la direction de Mehmet Basutçu – Collection Cinéma/Pluriel dirigée par Jean-Loup Passek

Nedim Gürsel et les juges: acte III

Nedim Gürsel vit en France depuis les années 1970. Il est venu à Paris, d’abord pour ses études; ensuite, par la force du destin qui, en 1980 en Turquie, a pris l’allure musclée d’un nouveau coup d’État militaire. Il est alors devenu un écrivain de l’exil: déchiré entre l’ici et l’ailleurs; Paris et Istanbul; les choix impossibles; la nostalgie (dont il écrit qu’elle est blessante “comme un poignard rouillé”) et les regrets.

Ses livres ont souvent fait polémique. Et lui ont valu les foudres de la justice. En 1981 (au lendemain du coup d’État) Un Long  Été à Istanbul (Imaginaire/Gallimard) lui coûte une première condamnation par un tribunal militaire pour “offense aux forces armées”. Deux ans plus tard, ce sera “offense à la morale publique” pour son roman, La Première Femme (Le Seuil).

L’année dernière, son ouvrage intitulé  Allah’in Kizlari (Les Filles d’Allah, 2008, Dogan Kitap) est sorti en Turquie. Ce livre, dont la traduction paraîtra en France à l’automne prochain au Seuil, a encore déplu:  cette fois, ce sont les islamistes qui ont déposé une plainte pour “incitation à la haine contre la foi”.

La perspective d’un procès, d’abord écartée par le juge, est revenue d’actualité cette semaine à la suite d’un nouveau recours déposé par les plaignants. Nedim Gürsel est donc à nouveau pris dans la machine judiciaire, comme l’ont été avant lui, ces dernières années, d’autres écrivains et non des moindres, tels que le prix Nobel Orhan Pamuk ou la romancière Elif Safak,  l’historien Murat Belge et le journaliste Hrant Dink, assassiné en 2007 dans des circonstances sur lesquelles on aimerait que la justice turque déploie autant d’énergie qu’elle en consacre à entraver la liberté d’expression.

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Nedim Gürsel attend de connaître la date de sa convocation par le tribunal de Beyoglu. Il s’apprête pour l’instant à passer quelques jours en Algérie, où il doit présenter le film  adapté de son roman Sevgilim  Istanbul (Istanbul, mon amour, 2007) réalisé par Seçkin Yasar, et dont il signe le scénario.

 

Illustration: affiche — Hakki Misirlioglu

 

 

Extrait: 

Au pays des poissons captifs, Éditions Bleu Autour, 2004, p.106:

Je n’ai pas choisi d’aller à Paris; à chaque fois, j’y étais contraint. Comme les Jeunes Turcs du régime Abdülhamid, j’ai moi aussi carrément pris la fuite. Je suis parti pour de bon. Depuis ce temps-là, Paris est devenu mon port d’attache, alors que je continue de retourner en Turquie. Quant à Istanbul, comme je l’ai dit dans Istanbul, mon amour, c’est désormais la ville où je me rends mais ne retourne pas, même s’il m’est arrivé de déclarer dans Reviens à Sorrente:

Non, je ne suis plus jamais retourné à Sorrente. Les criminels retournent sur les lieux du crime, moi, je suis innocent, monsieur le juge.

 

Rouge Baiser

C’est ça qui m’a tout de suite plu, à la lecture du poème d’Ilhan Berk. La couleur s’est imposée à moi. Couleur évidente du rouge à lèvres. Rouge. Très rouge. Et très lumineux. Un Rouge Baiser qui faisait ressembler la bouche de Zozo Dalmas à une cerise au kirch.

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Illustration: collage original de Bruno Le Marcis pour zozodalmas

Feux de Bengale

Dans le poème d’Ilhan Berk, Zozo Dalmas se trouvait donc au Pera Palas quand les pachas Enver et Cemal remontèrent jusqu’à leur chambre. Le feu d’artifice faisait exploser le ciel d’été…

Je n’ai jamais vu autant de feux d’artifices qu’à Istanbul. Dès qu’arrivent les beaux jours et que la nuit tombe sur les terrasses, il n’est pas rare d’en compter deux ou trois dans la même soirée, le vendredi et le samedi soir surtout. Dans cette ville, on envoie des bouquets de fusées lumineuses comme en Europe on plante des bougies sur un gâteau. C’est d’ailleurs souvent ainsi que sont proclamés les anniversaires, dans l’élite des beaux quartiers. Les clubs sportifs n’en sont pas avares non plus: c’est à celui qui fera la démonstration de sa suprématie en affichant le plus coloré des feux de Bengale, qui durera longtemps et fera parler dans les gazettes…

Combien de temps a t-il duré, celui dont la lumière ensanglantait le Bosphore, au pied du Pera Palas, quand Zozo Dalmas rallumait, ce soir-là, l’incendie de son rouge à lèvres?